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Un Pou pour la Puce ?

Allo Mamy !


Ce matin, en regardant la neige et en imaginant le froid extérieur, je me replonge en ce matin de janvier à Natitingou, cette terre de nulle part au nord du Bénin, ce passage vers le Burkina Faso dans ce grand territoire appelé Atacora où les collines et les plaines se disputent des paysages grandioses, où l'herbe à lion se dessèche tant qu'elle affame ses fauves et ses habitants, où l'harmattan, ce vent brûlant et chargé de poussière apporte du désert son feu et son néant.


- Le rapport avec la neige, ma chérie ?

- Le froid, maman, le froid et les bonnets de laine...

À Natitingou, en janvier, les nuits sont fraîches. On coupe l'air conditionné, on se recouvre d'un tissage qu'on appelle couverture (quand même, il ne faut pas exagérer !) et on s'habille chaudement. Pour les locaux, évidemment. 18° le matin alors qu'on va en avoir plus de 40 la journée, c'est polaire. Alors, quand on se promène dans la ville, on aperçoit tout à coup ces fameux vêtements d'hiver que nous envoyions "aux pauvres d'Afrique" quand nous étions petits et dont je me demandais bien ce qu'ils pouvaient en faire dans leur fournaise. J'ai eu ma réponse. Moi qui respirais enfin à cette "basse" température, je riais sous cape (que je ne portais surtout pas) à les voir ainsi caparaçonnés et affrontant la brutale froidure. Imagine, a contrario, le temps qu'il m'a fallu pour m'habituer, ici au Québec, et lâcher l'emballage fastidieux et bien épais de mes enfants tous les matins. J'avais tellement peur que mes petits Noirs prennent froid dans ce bout du nord Québec où nous avions choisi de les faire grandir ! Puis je les ai surpris un jour à jouer dans la neige en manches courtes... absolument insensibles au frette. Mamaaan ! clamaient-ils dépités quand je les rappelais à l'ordre. Mes petits sont devenus tout naturellement Québécois, pure laine. Sans laine, surtout, "ça gratte". Tout est décidément question d'habitude. La peau et sa couleur ont bien peu à voir...


Natitingou, c'est le pays de mon fils. De notre fils. Un petit rescapé de coutumes étranges qui condamnent des enfants à mort, les qualifiant de sorciers pour pas grand-chose.


Début décembre, une amie m'annonce que sa quasi-sœur, célibataire, se décide à adopter. Et comme elle vient souvent au Bénin, elle se dit que c'est sans doute le meilleur endroit pour déposer une candidature. L'Histoire de notre petite M. a ému toute la communauté française de Cotonou et on me sait très au fait des procédures. Elle me propose donc de nous rendre dans le nord, à Natitingou, justement, où on trouve des enfants abandonnés, sauvés de justesse des mains de bourreau qui les exécutent. Je connais bien déjà à cette époque cette coutume de l'infanticide que nous trouvons si barbare. Ma fille était elle aussi qualifiée d'enfant-sorcier puisqu'elle avait "fait mourir" sa mère. Au nord les enfants-sorciers ne sont pas abandonnés, ils sont confiés à un bourreau payé pour les tuer : prématurés, enfants qui ne marchent pas à quatre pattes, ceux qui marchent trop tôt, ceux qui ne se retournent pas à la naissance, qui naissent par le siège et j'en passe. Quelques personnes très engagées menaient alors une campagne éducative pour tenter de renverser cette coutume ancestrale basée sur la croyance que ces enfants sont dangereux pour les autres. Je sais que, depuis, les autorités ont largement fait avancer les choses et qu'ils poursuivent leur combat. Un très beau film, L'enfant-fourmi a été tourné sur le sujet. Mais dans un pays où on parle 50 à 60 langues différentes, où l'analphabétisme est la norme, où la radio n'existe pas, que faire ? L'idée de cette amie, A., c'était de rencontrer le prêtre qui s'occupait de sauver ces bébés pour les confier à l'adoption et de lui demander s'il en avait un de prêt à faire le grand saut. Une fille.


Toujours prompte à me lancer dans une expédition quelconque (la pomme ne tombe jamais loin du pommier, hein, Mamy, comme on dit ici), j'accepte bien sûr. Comme mon mari devait justement aller aussi dans le nord pour une mission professionnelle, nous profiterons de sa voiture de fonction et de son chauffeur pour voyager confortablement et en sécurité.


Le prêtre en question nous reçoit dans cet hôpital italien où il réside à 50 km au nord de Natitingou, à Tanguiéta, sur la route du Burkina Faso. Il nous explique son combat, nous montre des photos des enfants qu'il a donnés en adoption avec l'aide d'un organisme français et ses petits yeux de Bariba (une ethnie dominante du Nord Bénin) pétillent de malice et de fierté. Son combat ? Oui, il paie les bourreaux dès qu'il a vent d'un sacrifice pour que ceux-ci lui remettent le bébé vivant et abandonnent leur office... Nous lui demandons s'il aurait une petite fille de disponible pour l'amie de A. "Non, j'ai un petit garçon et pourquoi pas lui rendre visite ?" Le père compte tellement sur le coup de foudre qu'exerce un enfant abandonné de cette manière sur l'âme délicate des Blancs. Cher Père B. Que d'enfants vous avez ainsi sauvés...


Bon, ben, retour à Natitingou et programmation pour le lendemain et un voyage à Kouandé, dans la direction opposée pour aller, de visu, rencontrer un petit coeur rejeté. Qui sait, l'amie tombera-t-elle sous ses charmes !


En Afrique, une expédition, c'est une expédition. Il y a toujours quelqu'un à aller prendre quelque part, un endroit où passer on ne sait trop pourquoi, une route à prendre sans raison. Là, nous devions aller chercher un autre prêtre qui lui nous conduirait auprès de la dame qui nous expliquerait et nous présenterait à celle qui... s'occupait de l'enfant. N'essaie pas de suivre, je vais aller à l'essentiel.


Ce matin-là, mon mari a un rendez-vous professionnel et il nous faut louer un chauffeur et sa caisse (je ne trouve pas d'autre mot, mais ça dit bien ce que ça veut dire). Et voilà que, pour d'autres raisons tout aussi incompréhensibles, ce rendez-vous professionnel est annulé. C'est suffisamment fréquent les changements de programme pour que nous n'y voyions que le plaisir qu'il nous accompagne. Comme nous devons prendre le prêtre en question, que nous sommes déjà quatre avec ma Puce, plus le chauffeur de la voiture louée, plus mon mari et son chauffeur, nous prenons les deux voitures et partons voir de près cet enfant qui pourrait bien plaire à la future mère.


Tous les détours exécutés, quelques palabres interminables terminés quand même, nous arrivons à Kouande chez une dame responsable du petit dispensaire local, dame dont j'ai oublié le nom, mais pas le visage. On ne peut pas oublier le visage des anges ! Elle nous accueille très gentiment, les deux copines, notre chauffeur (l'autre profite du petit tour pour rendre visite à sa sœur ou son oncle ou, je ne sais plus !), le prêtre, mon mari, notre fille et moi. Elle nous sert à boire, nous demande des nouvelles de notre santé et, poliment, nous lui en donnons tout en échangeant des airs aux accents interrogatifs et en composant des phrases courtes, histoire de nous rapprocher un peu de ce moment où nous allons voir l'enfant, le tout petit sorcier de la brousse. C'est drôle de réaliser, après coup, que nous n'attendions, finalement, qu'un enfant. Juste un enfant. Mais c'était un peu comme si celui-ci portait une parure particulière, un nom pour le ranger dans une catégorie, celle des victimes de l'infanticide... Somme toute, une curiosité.


Avant de rencontrer ce petit, on nous présente E., la nièce du Père B. qui lui sert de Nounou, un autre ange dont le visage est resté gravé en moi. Échange de politesses, de quelques formules sacrées et des mêmes regards entre nous, regards mêlés d'impatience et d'interrogations. Puis, enfin, on nous annonce qu'E. va aller chercher le bébé. Attente fébrile et intriguée, faite de malaise et de curiosité. Il arrive, hurlant, visiblement enragé, insulté d'avoir ainsi été arraché à sa sieste. Je n'avais jamais entendu pareil niveau de décibels chez un bébé. Ma Puce à moi, quand elle pleurait, elle émettait juste un petit filet hoquetant et si touchant.


Chacun a pris l'enfant et s'est mis à lui faire des sourires, à lui envoyer des paroles réconfortantes, à le bercer, à chanter. Rien n'y faisait. Le prêtre d'abord, qui l'a passé assez vite à notre chauffeur, l'infirmière ensuite, puis les amies à tour de rôle, mon mari et moi enfin. Là, tu te souviens, je le sais. Ce qui s'est passé à cette minute-là ne s'oublie pas. Je frissonne à chaque fois que je le raconte et j'embue les yeux autour de moi. L'indicible, l'incroyable...


Mon mari m'a passé le petit que j'ai saisi sous les bras et assis sur mes genoux, face à moi, me penchant légèrement vers lui pour lui faire et lui roucouler les mêmes gazouillis auxquels les précédents s'étaient tour à tour essayés. Mais là, face à moi, les cris se sont arrêtés tout net. Et ce petit bonhomme, ce tout petit bonhomme a levé ses deux mains et les a posées sur mes joues. Les conversations se sont arrêtées, les bouches sont restées ouvertes, le temps s'est suspendu. Puis le petit s'est lentement détourné, a cherché E. et s'est réfugié dans ses bras. Tout était dit, tout était joué. Quand nous avons regagné nos voitures, l'amie qui s'était avancée sur le seuil de sa potentielle maternité m'a saisi la main. C'est tout. Il n'y avait rien d'autre à faire, rien d'autre à dire : l'empreinte s'était imprimée.


Le retour a été très silencieux. Ce que nous venions de vivre avait quelque chose qui nous dépassait, quelque chose d'irrationnel et pourtant, tous, nous l'avions vu et tous nous avions été touchés. Pour les locaux, le message était clair, mais je savais qu'il n'était pas reçu de manière aussi automatique pour mon mari que pour moi. Il fallait que je sache, que je lui pose la question, très craintive de la réponse. L'arrivée de M. n'avait pas été de tout repos et je savais que son papa voyait bien plus loin que moi. Alors, j'ai simplement posé la question :

- Et si on l'adoptait ?

- Laisse-moi un mois pour y réfléchir.

Une réponse mesurée, mais logique, très juste.


Je savais parfaitement que nous n'étions pas dans le mouvement d'une deuxième adoption à ce moment-là. La petite était avec nous depuis un peu plus d'un an et nous avions eu notre lot d'inquiétudes et de rattrapages à affronter. Mais pour moi, à l'évidence, il fallait y penser d'autant que l'amie F. avait confirmé qu'elle désirait adopter une fille...


Un mois, c'est possible. Nous avions alors le Nouvel An à fêter et pas n'importe lequel : le passage à l'an 2000 ! Nous allions le fêter avec un couple d'amis à l'hôtel Baobab, un concept de brousse qui offre des chambres dans des cases rondes avec pour seule végétation, à cette époque de l'année, des baobabs nains aux fleurs roses sans feuilles. Splendides, ces petits arbres qui gonflent leur tronc pour les gorger d'eau, ce qui leur vaut ce nom de baobabs nains. Mon cœur est un peu ailleurs, mais je ne veux pas m'attacher à un avenir aussi incertain et m'adonne tout entière au bonheur d'être là, au milieu de nulle part, en compagnie de bons amis et avec ma petite Puce souriante et joyeuse qui travaille fort à s'arrondir et à agrandir les surfaces qui accueillent mes bisous d'amour...


La suite aussi, tu l'as oubliée, je sais. Patience ! Et à très vite, petite Mamy... J'ai ma dose d'émotions pour ce soir.


B., ta fille qui t'aime et n'en finit pas d'apprendre à donner ce qu'elle a reçu de toi



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