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Les débuts


Bonjour petite Mamy,


Ces derniers jours, j'ai beaucoup pensé à toi. Par personne interposée. Mon amie S. a perdu le compagnon de toute une vie, le père de ses enfants. Nous avons eu, à propos de la maladie, de la mort, de la vie, elle et moi, des conversations passionnantes. Elle croyait au sens qu'on met sur les choses qui nous arrivent, sur le vaisseau de nos existences dont nous avons, consciemment ou non le gouvernail en main. Elle aurait tant voulu comprendre le pourquoi de la maladie qui a fini par emporter son si merveilleux mari... Elle était là, S., au moment de ton grand départ. Elle était là et sa présence avait tout son sens dans ces moments difficiles où mes frères et moi ne vivions pas l'imminence de ce départ de la même façon. Tu aurais aimé nos échanges, les écoutant avec ton petit air qui s'intéresse, mais n'en pensant pas moins, susurrant, de temps en temps, avec la pauvreté du langage qui te restait un "oui, peut-être, disons que j'ai un point de vue un peu différent sur ces choses-là". Tu avais tellement le don d'écouter, d'entendre mon point de vue sans le juger, toujours capable de placer doucement ton point de vue. S. est un peu comme ça...


Quand je t'ai annoncé que j'avais trouvé une petite fille et que nous allions l'adopter, tu as eu exactement la réaction que j'attendais. Ta joie a été immense. Je l'ai sentie comme si tu étais en face de moi, j'ai senti l'intensité de notre lien comme jamais. Nous visions alors à des milliers de kilomètres l'une de l'autre et c'était un peu comme si ce petit être venait s'inscrire dans une histoire dont nous n'avions pas encore identifié toutes les ficelles, mais dont connaissions, toi et moi, avec tant de complicité, la complexité de la trame. Tu n'avais plus, à l'époque, la moindre raison de cacher des pans de vie relégués très loin dans ton passé et je pouvais aborder n'importe quel sujet, te confier toutes mes élucubrations, te partager mes états d'âme. Je t'ai caché pourtant bien des choses, encore trop sensible à ce que tu aurais pu penser de mes choix, de ce que j'acceptais de la vie pour me faire aimer.


M., en commençant sa vie à la maison, entrait dans un long combat que nous étions décidés, engagés à mener avec elle. Il allait durer des années, dure encore. Mais la mort pouvait passer son chemin. Elle était sauvée et au seuil d'une vie, d'une famille qui ne demandait qu'à l'accueillir et lui offrir un destin forcément particulier. Cela tenait à son histoire à elle, à celle des parents qu'elle s'était choisis, qu'elle avait adoptés.


Sa maigreur et les maladies qui la rongeaient auguraient un parcours difficile. Jour après jour, il nous fallait la nourrir toutes les deux heures, la stimuler continuellement. Mais je crois sincèrement que son choix à elle était déjà fait : vivre. Elle souriait tout le temps, prise de petits fou-rires à chaque grimace que nous faisions, gazouillant sans arrêt, frétillant au son de mes comptines, prête à tous les efforts que nous exigerions d'elle, vaillante petite Mère-Courage.


Tandis que je rusais d'astuces pour la faire manger, obsédée que j'étais de lui faire prendre du poids, son papa passait tout son temps libre à la muscler. Il l'asseyait dans son petit transat fleuri posé par terre, s'asseyait en face d'elle, les jambes allongées et écartées, lui tendait ses index qu'elle empoignait avec une vigueur extraordinaire pour un petit être aussi décharné et il tirait doucement, l'encourageant à se lever et comptant en japonais : "itch', ni, san, ..." jusqu'à 10, "dju", la félicitant et l'encourageant sans arrêt. Et cette petite Puce adorait l'exercice, refusant la fatigue, consciente de faire plaisir, fière d'elle et de ses performances, ravie des applaudissements et de la joie de ses nouveaux parents. Son papa rentrait du travail et s'adonnait aussitôt à leurs échanges. D'une culture où les câlins ne sont pas de mise, il lui offrait une forme de tendresse tout aussi touchante, s'installait avec elle dans son petit parc, grand échalas qui amplifiait la miniature qu'elle était, l'emportait sur ses épaules dans le jardin et lui racontait mille choses qui m'échappaient puisqu'il lui parlait sa langue, s'installait avec elle dans la petite piscine gonflable pour la tenir contre lui, faisant passer l'eau par dessus bord, se couchait sur le canapé avec le petit bout de chou étendu sur son ventre. Ils riaient ensemble dans une immense complicité, une confiance incroyable, petits tableaux d'un bonheur tout simple, mais profond miracle des vies qui s'apprivoisent.


Quant à moi, je me promenais partout avec ma petite Fleur de brousse. Elle était continuellement sur mon ventre ou dans mon dos, kangourou ou pagne pour la tenir contre moi. Je la prenais partout, toute la journée, en voiture, à pied, dans la maison. Partout. Elle refusait d'ailleurs que qui que ce soit d'autre que nous la touche. Les visites médicales qui furent nombreuses au début étaient difficiles. Les femmes noires ne pouvaient pas l'approcher sans qu'elle se mette à hurler. C'en était gênant ! Qu'avait donc subi d'elles ce petit Cœur blessé ? On nous a expliqué que, probablement, comme sa mère était morte en couche, M. avait été considérée comme un enfant sorcier et les femmes avaient dû, dans son village, en avoir peur et la rejeter, voire la maltraiter. Cette peur est restée des années, profonde, viscérale.


Et le miracle s'est produit. M. a fini par garder ce qu'elle avalait, a commencé tenir sur ses maigres jambes avec moins de soutien et d'aide. Mais avant ces victoires, elle a vécu, nous avons vécu la grande rencontre avec vous tous. Et quelle rencontre ! Tu t'en souviens ? Comment oublier ce moment où nous avons atterri, elle et moi, à Roissy ? Elle avait 14 mois, tu avais 75 ans, plus beaucoup de mémoire, mais toute ta capacité à accueillir et à aimer ce petit Cachou savoureux, cette jolie boule d'amour, à partager mon bonheur et à t'approprier cette petite âme dont les sourires allaient immédiatement créer un lien particulier entre vous. Ce lien a été essentiel pour elle, mais il l'a surtout été pour moi.


On s'en parle la prochaine fois ? Les émotions de ces souvenirs ont raison de moi...

B.


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