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J'ai lu pour toi


Bonjour Petite Mamy,


Quatre jours de congé. Tout un bonheur que je renforce en m'offrant du temps de lecture, à chacun des quatre matins. Et, comme toujours quand un livre m'entraîne dans des profondeurs émotionnelles, je pense à toi et, mentalement, te partage ces émotions et mes nouvelles découvertes.


Ce matin, j'ai terminé La femme de Gilles, d'une auteure belge, Madeleine Bourdouxhe. C'est un livre que mes grands amis M. et P. m'avaient offert à mon départ de la Belgique, en 92, quand j'ai entamé ce long périple d'errances géographiques et internationales qui devaient aboutir au Québec 12 ans plus tard. Je me souvenais de ce livre avec beaucoup d'intensité et me souvenais aussi te l'avoir prêté, en avoir parlé avec toi et avoir échangé nos impressions grâce aux deux ou trois éléments que tu en avais capté, au travers des filtres de plus en plus serrés de ta mémoire. Dans les années qui ont suivi, j'ai souvent cherché dans les quelques livres de ta désormais maigre bibliothèque (pardon pour le qualificatif de maigreur, Mamy, mais tu sais que les livres religieux qui parsemaient les étagères de ta dernière maison ressemblent bien peu à ceux qui m'attirent et que j'aime), mais en vain. J'espérais toujours retrouver la couverture rose de ce livre qui m'avait tant marquée. Et je ne pouvais, évidemment pas espérer que tu te souviennes de la personne à qui tu avais dû le laisser.


J'ai souvent trouvé si difficiles ces disparitions des parties de toi et de moi qui se rejoignaient par le biais d'un livre, d'un voyage, d'une photo, d'un souvenir. Tu laissais se faire le vide autour de toi comme s'il était nécessaire, sécurisant, te réfugiant dans une religion dont je ne comprenais plus ni le sens ni la légitimité et que j'avais extirpée de ma vie, depuis très longtemps. Bref !


Je te disais donc avoir terminé pour la seconde fois ce livre. Et, pour la seconde fois, j'ai plongé dans ses pages, m'y perdant dans le temps, m'y retrouvant dans l'intensité des personnages et dans l'amour de cette femme pour son homme. Je suis toujours si touchée par les histoires dont les femmes, brûlantes d'amour, dévorées par leur amour, s'oublient elles-mêmes, entièrement consumées par cette fibre qui les tissent et en font des êtres de chiffons, des êtres pour qui la vie de l'être aimé vaut tous les sacrifices. L'amour ultime, l'amour où l'on n'est plus rien. Tu te demandais d'où me venait cette fascination pour ces femmes-là. Je n'ose pas encore te formuler la réponse. Je ne suis d'ailleurs pas tout à fait certaine de l'avoir... Il y a un tel fossé entre les réponses que notre cœur nous donne et celles que nous dicte notre mental .


Ensuite, j'ai commencé un autre livre, d'une auteure québécoise, Jocelyne Saucier. Le premier livre que j'ai lu d'elle, Il pleut des oiseaux, fait partie des plus beaux livres qu'il m'a été donné de lire. Celui-ci, intitulé Les héritiers de la mine, je n'étais pas très certaine d'avoir envie de le lire. Le résumé annonce l'histoire d'une famille de vingt et un enfants, tu imagines ? Je crois que tu le peux, toi dont la mère en a eu onze. Tu vois le tableau ? Dix de plus ? Là, franchement, ça frôle le cauchemar. J'avais très peur de plonger une fois encore dans ce thème si québécois, si enlisé de la période des grandes familles commandées par l'Eglise, ses curés et sa religion sans nuance et sans amour. J'avais peur de lire une fois encore des pages de misère dans lesquels certains intellectuels québécois engluent leur Histoire et s'en alimentent comme une exclusivité dont ils sont tant à plaindre...


Il me semble t'entendre me demander si je n'exagère pas un peu. Ce serait bien ton style de répartie, hein, ça ! Et nous saurions l'une et l'autre que ce serait juste la tactique si efficace qui était la tienne pour me pousser à discourir sur le sujet et t'en dévoiler toutes les facettes. Petite Mamy qui savait si bien me faire parler, raconter, émettre des théories et qui savait si bien s'y intéresser et, parfois, s'essayait encore à les contredire, juste un peu, histoire de me rappeler que tu avais été à la hauteur de mes envolées lyriques.


Non, je n'exagère pas. Mais là n'est pas le sujet. Le fait est que je suis aussi tombée dans ce livre, comme dans le précédent. Un livre dont les personnages sont d'une telle intensité qu'on pense à eux des heures durant, avec la très palpable impression qu'on les connaît, qu'on pourrait les rencontrer et que tous nous ressemblent un peu. L'hommage que l'auteure fait à la mère est bouleversant de vérité, de réalisme.


Elle est belle et terrible à la foi cette zone mystérieuse qui sépare la femme de la mère. Qui les sépare et les relie en même temps, étrange terre d'incertitudes et de questionnements auxquels nulle ne peut échapper. J'ai souvent tellement de mal à t'imaginer comme femme, ne te connaissant que comme mère. Pourtant, ils nous ont aussi été donnés ces moments d'immenses privilèges où, domptant la pudeur et l’indicible, tu m'as confié quelques moments de ta vie de femme. J'étais alors très touchée par le peu de place que cette femme que tu étais s'était accordé. Religion encore. Évidemment. Mais chut ! Cette partie t'appartient et je n'ai aucun droit de la juger. Par contre, il est un droit que j'ai et que j'exerce à l'instant : celui de te dire merci de m'avoir permis de t'exprimer des pans entiers de ma vie de femme et de les avoir accueillis comme miens, tout simplement. J'ai eu ça de toi et ça, c'est de l'or en barre... et ça atténue bien des erreurs de mon enfance.


La femme de Gilles et Les héritiers de la mine, entre Belgique et Québec, ont réchauffé quelque chose en moi, un petit foyer d'amour dont les braises ont ta couleur et ne demandent, pour repartir, qu'un petit souffle discret, aussi discret que ces petits clins d’œil que tu savais si bien nous adresser quand les mots ne trouvaient plus leur chemin et qui toujours, eux, trouvaient le chemin de notre cœur...


À très bientôt, petite Mamy...

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